Quand on ne s’y intéresse pas, on peut penser que la Normandie n’est pas une terre de surf. Toutefois, la région compte un bon nombre de surfeurs, et ce, depuis longtemps déjà. Immersion dans la réalité du surf normand avec Gabriel Brot, Victor Beharelle et Bazile Pinel.

La Normandie : une terre de surf (1/2)

Parcours d’un shaper normand : Bazile Pinel

Bazile Pinel, connu sous le nom de Zeuglodon, s’est affirmé comme « le shaper1 du coin » du Cotentin avec son atelier basé à Les Pieux. C’est un shaper, mais avant tout un surfer passionné depuis petit, qui, tout comme Gabriel Brot, a orchestré sa vie autour de son sport. C’est d’ailleurs Bazile qui lui fait ses planches.

Comment en es-tu venu au surf ?

“Mon père a commencé à surfer dans les années 1980. Moi, je suis né dans les années 1990. Il m’emmenait à la plage, il allait surfer tout le temps. C’était assez naturel pour moi de le voir surfer. Mais je me suis mis vraiment à surfer à fond quand j’avais 12 ans. Avant ça, je faisais du bodyboard, je jouais dans les vagues mais je ne surfais pas vraiment. Quand je me suis mis à surfer, mon père était trop content. Il m’emmenait surfer tout le temps. À partir de là, ça ne s’est plus arrêté.”

© – Gregory Mignard

Son père fait partie des premières générations de surfeurs normands. Le Cotentin Surf Club date les premières sessions de surf en Normandie à 1964, et le début des surfeurs réguliers dans un cercle très privé aux années 1970. Bazile Pinel rappelle aussi la proximité du Cotentin avec l’île anglo-normande de Jersey. « C’est juste en face de chez moi, à une heure de bateau » précise-t-il. En effet, Jersey est considérée par certains comme le berceau du surf en Europe. Le surf y a fait son apparition dans les années 1920-1930, bien avant d’arriver en France dans les années 50. L’Island Surf School de Jersey, probablement le plus vieux club de surf d’Europe, date sa création à 1929.

Selon toi, qu’est ce qui fait la spécialité du surf normand ? 

“C’est juste que j’ai grandi là et que je vis là, donc je surfe ici. Ce n’est pas par choix que je surfe ici. C’est clair que ce ne sont pas les meilleures vagues, mais il y a moyen de surfer quasiment toute l’année, de manière assez fréquente.”

© – Zeuglodon Surfboard

Et l’ambiance ?

“Ici, les plages sont assez grandes, et quand il y a de bonnes vagues, il y en a sur des kilomètres de plage. Il n’y a pas de problème de surpopulation dans l’eau, donc il n’y a pas de mauvaise ambiance qui peut en découler comme il peut y avoir dans le Sud-ouest ou ailleurs quand il y a trop de monde. À part sur quelques spots plus secrets où ça peut être plus tendu, il y a généralement une bonne ambiance dans l’eau. Ce n’était pas le cas quand j’ai commencé à surfer, où il y avait des mecs qui pouvaient être un peu cons et mettre une sale ambiance.” 

Comment à évolué le surf en Normandie tel que tu le connais ?

“Quand j’ai commencé à surfer, les données sur Internet n’étaient pas hyper fiables. Il n’y avait pas non plus trop d’infos sur les spots, donc il n’y avait que des locaux. On se connaissait tous. C’était hyper rare qu’il y ait des gens qu’on ne connaisse pas.

C’est sûr que ça a beaucoup évolué ces dernières années. Déjà, parce qu’il y a beaucoup plus de débutants qu’avant. Cela fait qu’il y globalement a plus de monde et donc forcément des gens qu’on ne connaît pas. Mais c’est aussi que les conditions sont plus diffusées. Il y a tous les groupes sur les réseaux sociaux qui se donnent les infos sur les spots et quand est-ce qu’il va y avoir des vagues. Ce qui fait que quand il y a de bonnes sessions, il y a plein de monde qui débarquent de toutes les villes plus au nord. On a les spots où il y a les meilleures vagues de toute la zone de Caen, Le Havre, Rouen etc.

© – Zeuglodon Surfboard

Mais maintenant, les conditions ne sont plus très fiables chez nous. Avant, il y avait de bonnes bouées2, mais aujourd’hui, d’un jour sur l’autre tout peut bouger. Comme on (les locaux) vit juste à côté, on voit tout de suite si la houle3 est là ou si le vent tombe. Donc là, on peut avoir de bonnes sessions sans personne. Ce qui change par rapport à l’époque où j’ai commencé, c’est qu’avant, tous les gens qui surfaient vivaient à côté de la mer. Maintenant, tu as aussi des gens qui ne vivent pas à côté de la mer qui surfent.”

Comment as-tu pris la décision de te lancer dans le shape ?

© – Zeuglodon Surfboard

“J’ai fait des études de géologie, puis j’ai bossé en Inde. J’étais prof de SVT au lycée français à Bombay et je me suis rendu compte que ce n’était pas la vie à laquelle j’aspirais. Je fabriquais déjà des planches depuis quelques années pour moi et mes amis. Et le shaper local, qui me faisait mes planches quand j’étais gamin, a arrêté d’exercer à ce moment-là. Il y a eu un peu un vide quand il a arrêté de bosser et ça m’a donné envie d’essayer, et de voir si j’arrivais à vivre de ça. Donc je suis revenu m’installer en France, à l’endroit où j’ai grandi. La compétition au niveau du shape4, ici, il n’y en a presque pas. Dans le Sud-ouest, la détection est beaucoup plus rude. On est quelques shapers et on a tous du boulot. Ayant grandi ici, je connais un peu tout le monde dans l’eau, donc j’ai cette facilité d’avoir déjà tout le réseau des surfeurs et d’avoir eu des commandes de planches dès que j’ai commencé à bosser.”

“J’avais déjà des connaissances sur le design des planches car j’avais un shaper, Thierry Huaux, qui me suivait quand j’ai commencé à faire de la compétition. Il m’a sponsorisé et me faisait plusieurs planches par an, ce qui m’a permis de comprendre les subtilités des designs. Ça m’a passionné de rechercher la performance dans le design des planches. C’est pour ça que j’ai commencé à shaper pour moi, j’avais envie d’expérimenter des trucs. Je n’ai pas vraiment fait de formation. J’ai commencé à shaper tout seul dans mon garage. Après, je ramenais les shapes que je faisais à mon ancien shaper, et il me donnait quelques astuces. C’est beaucoup plus tard que je me suis plus formé, en allant sur des festivals et en étant invité à faire des démonstrations de shape où j’ai rencontré d’autres shapers. J’ai aussi bossé dans le Sud-ouest chez un glasseur5, qui m’a donné pas mal d’astuces. »

© – Zeuglodon Surfboard

Tes commandes viennent-elles uniquement de surfeur de la région ? 

“C’est beaucoup des gens qui surfent ici, des gens du Cotentin, mais par extension aussi des gens qui viennent surfer là. Donc des gens de Caen, de Rouen, du Havre, etc. Mais j’ai aussi des commandes de gens venus complètement d’ailleurs. J’ai plusieurs fois fait des planches pour des gars du Pays basque. J’ai récemment fait une planche pour un Allemand, aussi. Mais majoritairement, c’est des gens qui surfent ici et que j’ai l’occasion de rencontrer. J’aime bien avoir ce contact avec les gens en direct, je trouve ça plus simple.”

Bazile Pinel
© – Loris Delande

Un type de planche revient-il souvent ? 

“Personnellement, je surfe beaucoup de planches différentes. J’ai fait du shortboard6 performance pendant très longtemps mais je suis passé par plein de trucs plus alternatifs, des fishs7 etc. Récemment, je me suis mis au longboard8 et c’est vrai que c’est quand même particulièrement adapté aux vagues qu’on a dans le coin. On a la période d’été où c’est quand même plutôt des belles petites vagues, qui se prêtent bien au longboard. C’est peut-être ce que je fais le plus maintenant.

Mais c’est aussi une mode. Pendant longtemps, toutes les années 1990 et 2000, personne ne voulait faire de longboard. Là c’est devenu à la mode, donc tout le monde a envie de s’y mettre. Aussi parce que c’est assez facile. Et comme en proportion, il y a plus de débutants maintenant qu’à l’époque où j’ai commencé, ça s’y prête bien. Je fais aussi beaucoup de mid-length, des planches autour des 7 pieds. Ce sont des planches assez polyvalentes qui se prêtent bien à tous les types de conditions qu’on peut avoir ici. En fait c’est assez varié, ça va du shortboard au noserider9.”

Bazile Pinel
© – @cokoif
  1. Un shaper est l’artisan qui conçoit les planches de surf  ↩︎
  2. Les bouées permettent de relever des données sur lesquelles sont basées les prévisions des conditions de surf ↩︎
  3. La houle (ou swell) est un train de vagues régulier, de longue période, non pas généré par le vent local mais formé et ordonné par un vent soufflant sur une grande étendue de mer sans obstacles ↩︎
  4. Le shape est l’activité de création de planches de surf  ↩︎
  5. Le glasseur est celui qui intervient juste après le shaper pour stratifier la planche et la consolider avec du tissu de renforcement et de la résine. ↩︎
  6. Le shortboard est un type de planche axé sur la performance  ↩︎
  7. Le fish est un style particulier de planche avec la partie arrière de la planche en forme de queue de poisson. Elle est souvent assez petite avec beaucoup de volume. ↩︎
  8. Le longboard est un type de planche caractérisée par sa grandeur et son volume important  ↩︎
  9. Le noserider est un type de longboard avec beaucoup de volume pour permettre au surfeur de se déplacer vers l’avant de la planche ↩︎

Robin Verrier

Bazile Pinel – © Loris Delande

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